Comment voyez-vous le rôle de l’architecte ?
L’architecte met en volume des envies et des besoins. Il doit être à l’écoute des personnes qu’il a en face de lui, ses clients – institutions ou particuliers –, pour concrétiser en volumes et en bâtiments leurs besoins particuliers, sans rien laisser en route. Un peu comme un puzzle où il faut mettre toutes les pièces dans l’ordre pour la réalisation du projet.
Votre père spirituel, vos maîtres ?
Effectivement, c’est une question importante parce que j’ai mon père, Georges Adilon, mais tout l’enseignement de Paul Virilio consistait à faire en sorte que nous arrivions à faire des projets qui viennent de nous-mêmes. Il avait un enseignement assez particulier.
Sur un sujet donné, on devait faire un « bon » projet : on avait l’impression d’y mettre tout ce qu’on avait de meilleur. Moi, je faisais du « sous-Georges Adilon », bien sûr.
Une fois qu’on l’avait fait, il nous demandait exactement sur le même sujet, un « mauvais » projet… c’était extrêmement difficile et tous les étudiants rechignaient.
Souvent, on tombait dans quelque chose de banal parce que la définition du « mauvais » n’est pas simple.
Une fois ce deuxième projet réalisé, il nous faisait plancher sur le projet « au-delà » du bien et du mal.
Cet enseignement-là m’a permis de dépasser les projets de mon père. Non pas dépasser en termes de « meilleur », mais de me dépasser moi pour aller vers ce que j’étais moi-même
Vous avez bénéficié d’une double formation ?
J’ai baigné dans la marmite depuis toute petite. Grâce à mon père, j’ai acquis une formation très importante du chantier parce que je l’ai accompagné sur les chantiers très jeune, à 15 ans, dès que j’étais en vacances. J’adorais ça, et ça m’a permis d’apprendre énormément de choses qui ne s’apprennent pas à l’école, comme l’écoute des clients.
La première étape pour devenir moi-même a été ce passage avec Virilio et la deuxième étape, c’est la mort de mon père qui m’a un peu plus libérée parce que ce n’est pas simple d’être la « fllle de ».
Après sa mort, j’ai eu un passage un peu particulier où me suis trouvée un jour en train de dessiner quelque chose : tout d’un coup, j’ai lâché mon crayon en disant « mais qui dessine là ? C’est lui ou c’est moi ? ». Ça a été très fort, une sorte de rite de passage.
Parmi les bâtiments que vous avez créés, lesquels vous rendent la plus fière ?
Dans ce que j’ai créé, la dernière réalisation me tient vraiment à cœur. Le lycée de Meyzieu, pour l’établissement Sainte-Marie Lyon, parce qu’il y a un aboutissement dans ce bâtiment avec le travail de la couleur et l’utilisation discrète du verre de la Verrerie de Saint-Just dans la Loire.
Et puis, il y a un bâtiment qui me tient à cœur aussi, dans ce que j’ai fait. Il n’est pas dans le livre qui vient de paraître sur mon travail, mais du point de vue de la fonctionnalité, je crois qu’il est parfait pour les utilisateurs.
C’est un petit garage qui m’a été commandé. J’ai énormément travaillé avec la personne qui le gérait pour savoir comment concevoir le bâtiment, pour qu’il réponde au mieux à leurs besoins et qu’il leur facilite la vie et le travail.
Parce que la fonctionnalité d’un bâtiment est primordiale. On peut concevoir un bâtiment magnifique mais si ça ne fonctionne pas, c’est complètement raté !
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
La première chose qui me vient à l’esprit, ce sont des bâtiments que je n’ai pas visités, ceux de l’architecte mexicain Luis Barragán, avec son utilisation de la couleur.
J’ai été beaucoup marquée par les constructions du Mzab, Ghardaïa cette ville aux murs inclinés dans le désert algérien, avec ses minarets en terre ocre, et puis les constructions vernaculaires des Ksars du Sud marocain.
Ce sont des villages un peu fortifiés avec des bâtiments en terre. Là aussi, la couleur m’interpelle beaucoup. Voilà les choses que j’aimerais citer.
La place du béton dans votre travail ?
Je dois à Georges cette façon d’utiliser le béton avec toute la liberté qu’il procure, avec la possibilité de formes infinies, la liberté de ne pas être enfermée dans une géométrie. On peut lui donner un aspect rugueux ou lisse et soyeux. Il peut être coulé sur place ou préfabriqué.
Au lycée de Meyzieu, en façade, les voiles de béton supportent l’avancée des dalles, créent des brise-soleil et s’allient à l’acier corten ou à la finesse des vitraux.
Et sa place dans l’avenir ?
Je n’ai pas de boule de cristal… On parle beaucoup de constructions en bois, comme d’un matériau durable, mais ça travaille tellement, ça vieillit.
On voit de beaux bâtiments en bois qui ne sont plus beaux du tout quelques années plus tard. On n’a pas beaucoup de bois de construction en France, on le fait venir de loin…
Pour le bâtiment du lycée de Meyzieu, on a un béton bas carbone, avec des granulats recyclés, qui était fabriqué dans une centrale à 15 kilomètres du chantier, avec des camions qui roulaient à l’hydrogène. On a essayé de faire le mieux possible, et on a obtenu le label HQE excellent en phase conception et réalisation pour ce bâtiment.
Votre prochain chantier ?
Je travaille actuellement sur un projet très exaltant de création d’une galerie d’art contemporain, enterrée à flanc de colline, dans lequel le béton brut aura une grande part.
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